Actualités | Mes Petites Musiques de Train ou l’art de l’auto-production bouddhiste…

Mes Petites Musiques de Train ou l’art de l’auto-production bouddhiste…

« Levantar el alma »

En mai 2012, je suis parti direction le Mexique pour tourner le pilote d’une série documentaire titrée par mes soins « Petites Musiques De Trains ». Indépendance, liberté et contraintes techniques feront le lit de cette inoubliable aventure auto-produite. L’idée ? Suivre l’itinéraire d’un train, de la première à la dernière gare, et s’arrêter en chemin pour aller à la rencontre de musiciens locaux. Chaque épisode de six minutes brossera le portrait de l’un d’entre eux.

Pourquoi le Mexique ? D’abord mon envie de découvrir l’Amérique latine, puis l’espagnol, langue que je parle – c’est plus pratique. Enfin et surtout, les 655 kilomètres de ce train mythique, le Chepe, qui traverse les paysages grandioses de la Barranca del Cobre (Falaises de cuivre) et croise la route de populations variées (Rancheros, Raramuris, Ménonites).

 

Le trajet du Chepe, de Los Mochis à Chihuahua

La distance correspondait au temps que je m’étais donné pour tourner : quatre semaines, assez pour rester plusieurs jours dans chaque gare. Avant de partir, j’ai écrit quelques pages sur ce projet, que je n’ai finalement envoyé à aucune société de production. Bien sûr, je connais les délais de réponse des producteurs et diffuseurs. Bien sûr, je suis impatient. Mais ce n’est pas, je crois, ce qui a influencé ma décision de partir seul. Je voulais réaliser ce projet pour moi avant tout. Avec ces « Petites musiques de trains », j’ai senti l’énergie incomparable que procure la réalisation d’un projet viscéralement personnel. Faire les choses avant tout pour soi, parce

qu’une idée résonne en nous, qu’elle nous correspond, il n’y a pas de moteur plus efficace. Qui plus est, ce résonnement élève l’âme, « levantar el alma » comme on dit là-bas (un truc un peu bouddhiste, je vous l’accorde).

Comprendre : si j’ai l’ambition de vendre mon projet, ce ne doit pas être l’unique but de

mon voyage. Vivre des expériences, rencontrer des gens qui partagent la même passion

que moi, cela compte autant que le reste. Il me semble que cet état d’esprit m’a permis de

« mieux » m’intéresser aux gens. Il m’a aussi libéré d’un poids : je n’essuierai pas « d’échec » si je ne parviens pas à vendre cette série. C’est dit.

Des trains et de la musique

Mais avant de partir, il fallait d’abord traduire le projet en espagnol, pour expliquer mes intentions aux musiciens. Plus tard, je les regarderai lire attentivement ces quelques lignes

où j’évoque mon intérêt pour les trains, cette impression de rouler sur l’espace et le temps. Ou encore la musique, présente dans ma vie depuis longtemps. Je travaille bénévolement pour une webradio et depuis un an et demi, je redécouvre la musique en apprenant le piano. Ce projet, c’est finalement le prolongement naturel de mon initiation musicale. Un moyen, grâce aux histoires et aux expériences des autres, de comprendre et de partager ce que je ressens avec la musique. Un éloge du sensible en quelque sorte. Et plus largement, il s’agit de montrer en filigrane l’universalité et la nécessité de la musique pour l’Homme. 

Comment devient-on homme-caméra ?

Le départ approche. Grâce à couchsurfing, j’entre en contact avec des habitants des villes

que je prévois de traverser : musiciens, étudiants, journalistes. Sur place, leurs contacts et leur connaissance des lieux me feront gagner un temps précieux.

En 2012, on pense léger !

Je termine ensuite ma préparation technique. Pas de pieds Vinten ni de Betacam, encore moins de car régie… En 2012, on pense léger ! Mon équipement doit me permettre d’être relativement discret et réactif face aux situations. Et d’éviter de me casser le dos. Pour filmer, je décide d’utiliser un CANON 600D pour sa polyvalence (photo et vidéo) soutenu par un petit bras extensible génial qui, collé à la poitrine, donne une étonnante stabilité. Si l’image bouge un peu, le stabilisateur d’images de Final Cut Pro X terminera le travail au montage pour obtenir un « effet pied » tout à fait satisfaisant. Malgré tout, même si le rendu est intéressant, ce n’est pas le meilleur choix pour du reportage-terrain : pas de point automatique, pas de zébra, tournage quasi impossible en basse lumière. De toute façon, il est couru d’avance qu’il y aura du déchet technique… Je m’apprête à rassembler cinq métiers à moi tout seul (réalisateur, cadreur, ingénieur du son, assistant-réalisateur et traducteur). D’ailleurs, j’ai du temps pour éventuellement retourner des images, et aussi cinq cartes-flash de 32 Go.

Pour le son, j’opte pour un micro super cardioïde (Rode Video Mic) qui, fixé directement sur l’appareil-photo, me permettra d’interviewer les gens en plan serré. Je doublerai le fichier son avec le dernier né de la gamme ZOOM, l’enregistreur HD Q3, qui intègre une caméra HD type GoPro. Cet appareil se révèlera être une petite merveille dans des conditions de tournage difficiles. D’une grande simplicité d’utilisation, il permet des prises de son stéréo très propres. Il me sauvera à de nombreuses reprises, quand le son s’avèrera saturé sur le CANON, qui n’a pas de vu-mètres (Depuis, le logiciel Magic Lanterne permet affichage d’un vue-mètres et du zébra). De même, pour les prises de son des chansons live, habilement caché dans le décor, le ZOOM pourra remplacer une console de son traditionnelle tandis que je baladerai ma caméra autour des musiciens. Avantage très appréciable en post-production : on peut monter le niveaux des clips sans récupérer de souffle. Enfin, fixé sur une griffe, l’objectif tourné vers moi, l’enregistreur me filmera en gros plan lors de mes déambulations, un peu à la manière d’Antoine De Maximy dans « J’irai dormir chez vous ». 

Des notes dans un carnet

Et puis ça y est, voilà le départ. Le 15 mai 2012, sac sur le dos, je claque la porte de mon appartement parisien. Direction Los Angeles. Je rejoindrai ensuite La Paz en Basse-Californie avant de gagner Los Mochis par bateau, où le Chepe prend son départ. Est-ce la solitude du voyageur qui donne inexorablement l’envie de partager ? Ou un conditionnement mental inconscient lié à mon projet ? Dès mon arrivée à L.A, je comprends que ce voyage sera tourné vers les autres. J’ai l’esprit ouvert à 360 degrés et je commence à prendre des notes dans un petit carnet. Je les convertis ensuite en récits que j’adresse à mes amis. Ce sont eux, me semble t-il aujourd’hui, qui donnent les meilleures photographies de cette expérience de tournage libre. Extraits :

27.05.12 // 20h03 // Los Mochis

Au début, il y a eu quelques hésitations. Difficile de braquer l’objectif de ma caméra à la face de parfaits inconnus. Quelques jours de tournage plus tard, tout va mieux, j’hésite déjà beaucoup moins. J’y vais franc du collier, j’interroge, j’assume en bloc : « Hola, soy un director de documental francès y estoy haciendo un documental sobre la musica mejicana, sabes donde se puede encontrar musicos por alli ? ». Parfois, on me fait de drôles d’yeux, la caméra intimide, on dit « no sé no sé » un peu gêné, d’autres fois au contraire, la caméra fait lien, permet les rencontres. Au port de Topolopambo, elle m’épargne un pénible trajet en camion à la nuit tombée par exemple. (…) 

31.05.12 // 21h12 // El Fuerte

(…) Quelques heures de vidéos plus tard, deux jours qui comptent comme deux semaines, des embrassades, des promesses de se revoir partout dans le monde et me voilà

enfin à bord du Chepe qui, je le sens, va vite devenir mon ami. El Fuerte, descente à

gauche. Quelques tchac tchac encore, un peu de fumée à l’horizon et ça y est, le bruit des

grillons, la gare est vide, je suis tout seul. Je tends l’oreille, m’assure que je n’entends pas

l’harmonica de Charles Bronson dans « Il était une fois dans l’ouest ». Mais non, rien. Si,

José Felipe. Il travaille là, je le filme, on discute, « muy tranquilo el trabajo » il me dit. Il

conseille aussi d’aller rencontrer les Capomos, un peuple « indigena » qui vit à l’écart d’El

Fuerte (…). De leur part, un peu d’arnaque, ce qu’il faut, c’est de bonne guerre. L’interview,

la musique et la danse valaient le coup de toute façon. Bon, l’image est un poil surexposée, entre l’image caméra 1+ l’image caméra 2 + le son caméra 1 + le son caméra 2 + poser les questions + parler espagnol + le papier à questions, le sortir + ne pas s’emmêler

les pinceaux avec le câble du casque + respirer + boire de l’eau, il fait chaud + regarder

son interlocuteur dans les yeux pour faire genre on s’intéresse + anticiper la suite des événements, c’est vrai, parfois il y a des loupés techniques mais enfin, dans l’ensemble, je

crois que ça va à peu près. C’est ce que je me dis lorsque je synchronise et j’organise

tous ces petits mondes numériques sur mon Mac, affalé sur le lit de ma chambre d’hôtel,

le ventilateur accroché au plafond au-dessus de moi. Je me dis aussi que j’ai de la chance

d’avoir rencontré tous ces personnages intéressants. Pourvu que ça dure, hein, on ne sait pas, demain c’est le vide encore, et il faudra le remplir.

07.06.12 // 8h06 // Batopilas

Il y a beaucoup d’improvisation. Il faut sentir les coups. Je filme d’abord sans grande

conviction, des gens, des situations, certains musiciens, j’erre un peu, caméra à la main,

dans un nouveau village, une nouvelle ville. C’est flou, je vais à tâtons, je suis les conseils

des patrons d’hôtels, des couchsurfers, j’interviewe, j’enregistre, j’ai peur de rater quelque

chose. Ma route m’emmène vers des musiciens qui jouent faux, qui restent silencieux devant la caméra, répondent à mes questions par si ou par no, vers un pasteur qui joue du

Jésus soporifique à la guitare, des essais, des brouillons, ici et là. Généralement, je sais

tout de suite que je ne garderai rien. Et puis, à un moment, l’horizon se dégage, le point se fait, un personnage se détache et je sais que c’est ça que je suis venu chercher. À Bahuichivo, je m’arrête sur Pablo qui me chante du José Alfredo Jimenez de bon matin, après s’être envoyé un petit remontant. À Creel, sur Renaldo, charpentier-musicien, qui joue de la musique « ranchera » et qui aime le classique, et alors. (…) 

Rencontre avec Reynaldo, Creel

 

 

 17.06.12 // 8.20 // Cuauthémoc

(…) Il est 4h30 quand j’atteins la route de terre. Nuit noire, grillons, douce solitude. Une

première voiture qui ne s’arrête pas. Une deuxième, qui s’arrête parce que je me mets en

travers de la route. « Je t’emmène ? » Je t’emmène… Ça y est, peu à peu, on avale les lacets à mesure que le jour engloutit la nuit, on grimpe, on s’extrait, six jours au fin fond de

la sierra tout de même, quelques kilomètres encore, un bus finalement, pour revenir jusqu’à Creel, puis une nuit réparatrice, quelques enregistrements avec Renaldo, « tu reviens

quand tu veux, tu es ici chez toi Roel », et puis avec JP aussi, un Américain, ancien alcoolique, qui transporte sa guitare comme moi ma caméra, pour rencontrer les gens. Recording session sur le quai du Chepe et puis ça y est, je pars, Cuauthémoc, trois heures plus tard… (…) 

 

19.06.12 // 21.20 // Dans le Chepe, entre Cuauthémoc et Chihuahua

(…) Voilà que je reprends le train, que je quitte tout ce petit monde direction Chihuahua et

me rends compte que j’ai accumulé les rencontres et les émotions mine de rien, avec la

bonne excuse de ce projet musical. Je prends conscience tout doucement, je jette un œil

dans le rétro, déjà un poil de nostalgie, oui, ces gens si proches aujourd’hui qui, demain,

seront si loin. Allez, Chihuahua dans quelques minutes, on aura tout le temps de se souvenir, on avance, les contrôleurs me serrent la pince maintenant, on me reconnaît, on

m’appelle par mon prénom, « como estas Roel ? », mon cinquième voyage à bord du Chepe, après tout, enfin, la reconnaissance. Il était temps. »

22.06.12 // Temps couvert sur Chihuahua

(…) La veille, devant la caméra, Oscar m’en avait raconté de belles, des meurtres commis

dans des bars, des règlements de comptes, des dommages collatéraux, d’innocentes victimes tuées, une des plus grandes « banda » du Mexique qui disparaît comme ça, assassinée. Il y a un mois, c’est encore arrivé, un meurtre soudain, un fait divers dans le journal

et des musiciens qui font la grève pendant quelques jours. C’est que les patrons de bars

ont peur d’engager les musiciens maintenant. « Les lieux nocturnes ferment plus tôt, les

gens ont peur, tu vois ». Oui, je comprends mieux. Mais quand même je dis, il y a une

contradiction, cette violence quotidienne contraste avec l’ouverture d’esprit des gens. Ici, les portes s’ouvrent facilement, le contact est super facile, je ne ressens pas cette peur dont vous me parlez tous. « Ah Roel ! ça c’est parce que les Mexicains ont un grand cœur, on ne peut pas nous l’enlever ça, et puis, avec la peur au ventre, on ne fait plus rien, il faut continuer à vivre ou aller aux Etats-Unis ». 

Séance d’improvisation et duo dans la lumière, Chihuahua

25.06.12 / 12h36 // Aéroport du D.F (ciudad de Mexico)

Ça y est, finis les cafés frappés à l’Oxxo, les tortas especiales et les sirènes de train, bye bye Mexico, hasta la vista Chihuahua, je suis sur le retour, content de rentrer au pays, de pouvoir me relâcher et regarder la vie autrement qu’à travers la lentille d’une caméra. Quatre semaines de tournage et le Chihuahua freestyle au bout, qui achève un peu. Difficile de planifier ici, la sensation de surfer en permanence, sans grand contrôle sur les choses. Trois heures d’attente, par exemple, pour filmer Oscar et son groupe dans un festival de skate, qui s’achèvent par un : « on ne peut pas jouer, le batteur ne vient pas ». Les gens rappellent ou répondent aux textos quand ils veulent, « si si Roel, te marco » – c’est ça ouais -, parfois c’est la messagerie plusieurs jours de suite, sinon la disparition de la circulation, comme Angelica, une mariachi interviewée trois jours plus tôt, ou encore ce DJ qui m’annonce à 17h qu’il ne sera pas là au rendez-vous de 10h… Bref, le Chihuahua freestyle il faut gérer, mais ça a son charme quand on ne travaille pas. On débarque chez les uns et chez les autres sans prévenir, sans regarder sa montre, il y a beaucoup d’improvi- sation, on vit les deux pieds dans le présent. Ça a été un bonheur pour mon projet cette spontanéité naturelle. « On filme là où on est. Ici ? Oui. Quand ? Maintenant. » Ces quatre semaines sont passées très vite, l’impression d’avoir été tiré par un élastique depuis mon arrivée à La Paz, une projection vers l’avant permanente qui a comme accéléré le temps ; une nouvelle journée, une nouvelle ville et toujours la même idée fixe, trouver des musiciens, discuter, convaincre, organiser, filmer. Pas le temps de me retourner. Pendant un mois, j’ai profité de la vraie vie, aux aguets, avec mon seul objectif en tête. Un paysage magnifique, une situation intéressante et il fallait que je filme. Un musicien que je rencontre et je fais l’équilibriste, entre curiosité et froideur, la jouant stratégique, parlant plus que lui pour éviter qu’il ne se raconte trop. Sa vie, je veux qu’il me la dise devant la caméra ; le naturel, c’est la première prise, on le sait. Au fur et à mesure du tournage, j’ai épuré mon jeu, trouvé de nouvelles tactiques, parler, filmer moins mais mieux, sentir les coups, tenir mon fil conducteur en restant ouvert aux situations et, au bout du compte, je crois que j’ai appris quelques ficelles de tournage. Une belle expérience donc, quelques belles séquences, quelques belles paroles aussi. Quoi qu’il en soit, « on verra au montage » comme dirait l’autre. Près de 700 Giga, ce n’est pas rien, il faudra prendre une bonne dose de mezcal avant de s’y coller.

Paris

Et puis il y a le retour, fin juin. Je reconnecte aussitôt avec la réalité parisienne : l’habitude

des voyages. Je m’attelle au montage de deux épisodes-pilotes assortis d’un teaser pour

donner un aperçu de mes rushes et intéresser d’éventuels producteurs. Avec un double

objectif : au-delà de l’envie de vendre cette première saison, je veux partir à nouveau, accompagné par une structure cette fois. Pourquoi ne pas décliner cette série dans d’autres

pays ? En Russie par exemple, avec le Transsibérien, en Ethiopie avec le train du Négus

ou en Australie avec l’Indian Pacific ; voire même en France, à Paris, avec une ligne de métro…

En attendant, je monte. Et la post-production me paraît aussi longue que je suis impatient de faire exister ce projet. Final Cut Pro X s’avère parfaitement adapté à ce genre d’auto-production. Des fonctions de stabilisation d’image à la suppression de bourdonnement en passant par ces puissantes fonctions de classement, c’est le couteau-suisse du réalisateur/monteur indépendant. Allez, encore un peu de graphisme, quelques chamboulements de narration pour trouver la bonne formule et ça y est, les épisodes sont prêts. Reste maintenant à convaincre une société de production de m’accompagner dans ce projet !

Joël Foulet

 

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